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Tunisie, si proche, si loin...

La Tunisie est un pays proche de l’europe avec qui la France entretient des relations d’un type particulier, tant sur le plan économique et culturel que politique. L’organisation du pouvoir politique reste de type totalitaire et beaucoup de tunisiens ont en France le statut de réfugiés politiques. Cette situation humainement difficile crée des fractures spatiales et donc affectives dans les familles franco-tunisiennes. Il est important que les acteurs de toute origine qui en ont les moyens fassent un travail de sensibilisation à ce problême et engagent tous leurs responsabilités pour faire changer cette situation.

[*Notre pensée va vers tous ceux qui sont coupés des leurs, éloignés de leurs familles, et que la vie sépare sans leur laisser la possibilité de s’accompagner.
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"En tout premier lieu, il est important de définir le régime tunisien. Certes le régime actuel peut être qualifié d’autoritaire mais historiquement, la Tunisie a toujours eu un régime autoritaire. Ce qui rend difficile l’approche de ce régime, marqué depuis Bourguiba par une profonde ambivalence, c’est qu’il s’agit d’un régime à la Janus qui mêle réformisme et traditionalisme, libéralisme constitutionnel et autoritarisme politique. Quant à la qualification d’Etat laïque, elle n’est que prétendue : la religion est reconnue dans la constitution, elle est utile et utilisée comme moyen de contrôle social voire de répression.

Pour définir ce régime, il convient d’abord d’écarter deux idées. La première selon laquelle la performance économique -libéralisation économique- déboucherait sur une performance politique, et que la libre entreprise déboucherait sur la démocratie. En Tunisie, le libéralisme n’a pas débouché sur la démocratie, pire nous sommes dans un libéralisme clanique, maffieux où un petit cercle proche du pouvoir s’approprie les biens de la nation, induisant une paupérisation manifeste des classes ouvrières et moyennes. La seconde idée à écarter concerne le soi-disant despotisme oriental comme seule caractéristique des pays arabes. Il existe en Tunisie des espaces de contestation occupés par une société civile qui aspire largement à la démocratie et a un profond mépris pour ceux qui confisquent sa liberté de parole. Bourguiba incarnait un pouvoir personnel et présidentiel mais qui savait s’effacer devant les centres d’impulsion politique (partis, gouvernement,...) mais au-delà avait aussi un projet politique.

Aujourd’hui le pouvoir, confisqué par un palais présidentiel hypertrophique, est plus proche d’un régime monarchique avec sa cour ministérielle, soumise ou disgraciée au gré des intérêts du pouvoir, le président étant à lui seul le gouvernement. Quant à la dérive policière, elle date déjà de Bourguiba. Le système sécuritaire s’est densifié : la police est au pouvoir (1 policier pour 75 individus en Tunisie contre 1 pour 265 en France qui a la police la plus importante en nombre). Le RCD du Président est un parti unique certes mais en régression, un parti certes omniprésent mais qui n’existe pas en tant qu’espace politique mais comme simple maillon du système.

Le système repose aussi sur la collusion entre le palais et les milieux d’affaires, clans familiaux en relation directe avec le palais qui contrôlent l’économie, le politique et le sécuritaire. Ben Ali est un parrain dans son comportement et dans sa façon de gouverner le pays. Utilisons une métaphore : si l’Europe est l’hypermarché, la Tunisie est le parking périphérique et Ben Ali le vigile suprême du parking, vigile qui lutte contre les deux grands maux : l’émigration clandestine et le terrorisme qu’il soit réel ou imaginaire.

En conclusion, au-delà des observations sociologiques, nous devons peser sur cette dictature tunisienne de Ben Ali dont J. Chirac a vanté les vertus démocratiques (rappel de la « mémorable » intervention de J. Chirac sur les droits de l’Homme en Tunisie) mais duquel L. Jospin avait mieux cherché à protéger les opposants politiques. La démocratie et la citoyenneté commencent ici en France, à Marseille...."

Compte rendu de l’intervention de Vincent Geisser lors de la conférence débat à Marseille, Le cycle de l’injustice en Tunisie, organisé par la Ligue des Droits de l’Homme le mercredi 7 juillet 2004. Lire ici